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Sur la souffrance du narcissique en couple

Article de Roi Tzur -Travailleur social clinicien et Psychothérapeute, écrivain et conférencier.

Traduction depuis l’hébreu - Yael Eyholzer Kerpel


Lorsque nous parlons de narcissisme, nous parlons principalement de la souffrance que le narcissique cause à son entourage, que ce soit par le besoin incessant d'attention et d'appréciation, ou par le fait de traiter les autres comme des serviteurs. Très peu a été écrit sur la souffrance du narcissique dans une relation. Peut-être est-ce parce qu'il est difficile d'attirer l'attention sur lui alors que le narcissisme, dans sa forme extrême, s'accompagne souvent d'une tendance psychopathique, qui se traduit par un manque de compassion et une inconscience totale, comme on le voit parfois chez des personnalités publiques ou conjoints violents.

Le but de cette chronique est précisément de décrire ce qui se passe dans l'esprit des narcissiques qui ne rentrent pas dans cette catégorie, ceux qui ont une certaine tendance narcissique qui ont aussi une capacité empathique et une grande conscience de soi, mais qui souffrent d'une détresse personnelle considérable au sein de le domaine conjugal. Un aperçu de l'âme compliquée d'une personne aux traits narcissiques.


Afin de saisir pleinement l'expérience narcissique, il faut d'abord comprendre le paradoxe fondamental qui est au cœur du narcissisme. D'une part, le narcissisme représente tout le contraire de l'amour. Alors que l'amour consiste à voir et à accepter pleinement l'autre, le narcissisme consiste à utiliser l'autre pour mes propres besoins. Le narcissique voit le monde en noir et blanc, "tu es avec moi ou contre moi" pensera-t-il. Sa tendance paranoïaque, que nous aborderons plus tard, lui fait voir le monde comme une sorte de champ de bataille intéressé, dépourvu d'empathie et d'amour véritable. Cependant, cette tendance extrême ne fait que trahir son désir profond de tout le contraire, d'un sentiment d'acceptation et de compréhension complètes, de tendresse et d'amour, tel qu'il est ressenti par un bébé dans ses premiers jours avant que la frontière entre lui et sa mère ne soit définie. À l'intérieur, le narcissique aspire à l'union et à la dissolution de son moi au sein d'un être cher jusqu'au point d'une fusion harmonieuse, ce qui conduira à l'élimination de la séparation douloureuse. Mais pour protéger son cœur, il est à chaque fois déçu, parfois après une brève et intense période d'amour. Les sentiments de colère, d'amertume et d'insatisfaction qui l'accompagnent naissent de l'écart entre ce qui est désiré et ce qui est trouvé, entre le fantasme et la réalité, et entre ce qu'il attend de l'autre et ce que l'autre peut effectivement donner ou être.


La principale souffrance du narcissique découle donc de la tentative de rétablir (ou de combler un vide) dans une harmonie primaire dans laquelle était présent (ou absent) un sentiment d'unité apaisante avec la figure bienveillante qui était vécue comme une partie inséparable de lui. Ainsi, à l'âge adulte, plus l'écart entre lui et le monde est grand, plus le sentiment de vide, de solitude et de déception du monde qu'il éprouve comme aliéné, abandonné et parfois hostile, et plus la rencontre avec le monde n'est pas suffisamment précise à ses besoins, plus le monde est ressenti comme hostile, sans empathie et aveugle à son égard. De là vient le grand scepticisme du narcissique envers l'amour et les sentiments de tendresse. Comment aimer dans un monde qui ne fait pas un effort suffisant pour s'adapter à moi ? Un tel monde est vécu comme indifférent, frustrant et égoïste. Le faux désir de symbiose se termine toujours par un sentiment de vide et de déception de la part de l'autre. Ironiquement, la solitude du narcissique est précisément causée par son grand désir d'amour parfait et le rejet de tout ce qui est vécu comme partiel ou éloigné de l'idéal. Elle oscille entre unité et vide, entre admiration et grande déception, entre perfection et partialité décevante.


La grande tragédie du narcissique est sa solitude et son vide profond dont il tente de s'échapper par une grande activité. Malgré son fort désir de restaurer le sens initial de l'unité et de l'amour symbiotique, il s'avère que sa relation reste lâche, boiteuse et dépourvue de véritable intimité. La relation du narcissique à l'autre est complexe et vulnérable, pleine de compétition avec les membres du même sexe et de séduction envers le sexe opposé. Cependant, il n'y a pas d'endroit où il souffre plus que dans une relation, où il se sent parfois désespéré et découragé. Le narcissique et son partenaire ont du mal à s'exprimer pleinement dans une relation. Étant donné que le partenaire est tenu de se conformer à la vision du monde idéale que le narcissique a de lui, il a du mal à s'exprimer pleinement et authentiquement, de peur d'offenser ou de mettre en colère le narcissique s'il s'écarte même un peu de l'image qui lui est imposée. En pratique, la vision délirante de l'unité amène le narcissique à supposer que son partenaire doit être d'accord avec son cheminement de pensée, avec ce qu'il ressent et les raisons de celui-ci, et avec la façon dont il voit la réalité, ce qui est bien sûr le seul moyen et sin fin. Les attentes élevées du narcissique envers son partenaire deviennent une béquille dont il est difficile de sortir indemne. De son point de vue, l'amour exige le sacrifice total du partenaire. Il lui est difficile d'accepter qu'une relation amoureuse puisse exister sans que l'une des parties perde sa subjectivité, ou se sacrifie pour l'autre. Son principal défaut cognitif est qu'il ne sait pas faire la distinction entre considération et abandon de soi de l'autre. Tout mouvement indépendant du partenaire qui contredit ses souhaits peut être vécu comme un manque de considération, alors que l'autre n'a pas du tout l'intention de lui nuire lorsqu'il tente de maintenir son individualité. Pour le narcissique mentionné ci-dessus, l'amour est l'unité et la fusion en parfaite harmonie. Mais une telle fusion peut aussi être très menaçante pour quelqu'un qui manque de confiance et qui a un moi fragile. Ainsi, il peut se sentir dépassé et menacé par une relation stable. Alors il prend soin de laisser des échappatoires pour ne pas se sentir piégé dans une image moins qu'idéale. Il aura tendance à ne pas parler des parties honteuses de lui-même ou mentira pour ne pas compromettre la relation idéale dans sa tête.


L'essence du narcissisme est le rejet de l'altérité menaçante de l'autre, et la transformation de l'autre d'une personne indépendante et différente en un objet qui s'adapte à moi. Le monde intérieur du narcissique est constitué d'expériences d'effacement, d'usage, d'annulation, d'absence de visibilité et de tout le vocabulaire qui décrit une expérience de destruction par un monde aliéné et insensible. Ces expériences, qu'il fait ressentir régulièrement à son entourage, ne sont pas étrangères au narcissique, car il a grandi avec l'un des deux styles de maternage. La première est une mère qui ne pouvait pas vraiment le voir comme une personne indépendante et inséparable d'elle, et la seconde est tout le contraire, une personne qui était tellement occupée par elle-même qu'elle ne voyait ni ne s'occupait du tout de sa fille. La première mère réagissait très vulnérable à toute tentative de son enfant de s'écarter de ses idéaux et de ses attentes à son égard. "Je te connais mieux que toi" était le message commun, alors qu'elle lui inculquait la conviction qu'elle savait ce qu'il (devrait) ressentir, penser et vouloir. Pour cela, elle a développé des stratégies astucieuses pour que l'enfant ne se ressente pas comme une personne à part, soit en le culpabilisant, soit au contraire en le transformant en prince tout-puissant sans lui fixer de limites. Le narcissique grandira avec le sentiment qu'il n'est lui-même qu'à l'image et à la ressemblance d'un autre (la mère), et ce qu'il ressent à l'intérieur n'est pas vraiment lui-même. A l'âge adulte, l'environnement devient un substitut de la mère et un élément important de la fragile image de soi du narcissique. Malgré son apparente confiance en lui, il est plein de doutes et dépend de l'attitude de son environnement pour confirmer son identité. D'où la nécessité d'impressionner l'environnement, d'être numéro un ou d'avoir l'air parfait.


A partir d'une telle expérience d'enfance, il est très difficile pour un narcissique d'entrer dans une relation intime profonde avec une autre personne. Même si le partenaire est fondamentalement différent de la mère, le narcissique peut tout de même ressentir une dépendance suffocante, la méfiance, la peur du rejet ou de l'exploitation. Ainsi, de nombreux narcissiques restent célibataires, ont du mal à se marier ou finissent par divorcer. D'autres se contenteront de conquêtes comme substitut de connexion. La conquête est une solution magique pour le narcissique, car elle lui permet d'élever son estime de soi, de vivre le fait de tomber amoureux comme un sentiment de fusion, et de créer une union courte et puissante sans trop risquer de s'exposer. L'idéalisation qui caractérise la période de tomber amoureux permet au narcissique de ressentir l'unité et l'harmonie alors qu'il ne ressent fortement que les aspects de la personnalité de l'autre qui sont cohérents avec ses attentes. Cependant, plus la relation se rapproche, plus elle a de chances de se dissoudre. Au fil du temps, le partenaire se révèle être une personne en chair et en os-imparfaite, avec des qualités et des besoins frustrants qui lui sont propres et qui sont vécus comme une attaque contre le narcissique. L'idéalisation s'estompe et avec elle la motivation à poursuivre la relation conjugale. Le sentiment d'obligation qui devrait renforcer la relation ne devient qu'oppressant, car il crée une proximité menaçante. Au fil du temps, le narcissique deviendra amer et cynique envers son partenaire, fantasmera sur la vengeance ou la trahison en récompense d'une promesse non tenue, et ressentira le non-sens et le vide qui l'accompagneront dans la relation.


La vie sexuelle du narcissique oscille entre deux pôles qui correspondent au besoin de fusion et à la peur de l'intimité qui l'accompagne. D'une part, il peut s'épanouir sauvagement et profiter de la sensation de fusion que procure l'orgasme, sans se sentir menacé par une proximité stérilisante. L'homme narcissique est un partenaire attentionné et sensible au plaisir de l'autre, mais il ne le fait pas par véritable souci de l'autre, mais plutôt par désir de se responsabiliser en lui apportant satisfaction. Plus le partenaire devient proche, plus il est difficile de maintenir une vie sexuelle satisfaisante. Il peut éprouver une diminution drastique du désir, ou des problèmes fonctionnels comme l'impuissance et l'éjaculation précoce. La peur de l'intimité qui l'accompagne peut rendre le narcissique froid et distant sexuellement. La peur de perdre le contrôle ou d'être pénétré peut déclencher des peurs liées à la perte de contrôle et à la dépendance, et peut être vécue comme une dissolution menaçante des frontières personnelles.


S'il veut entrer et maintenir une relation aussi stable que possible, le narcissique doit faire un double travail. D'une part, le narcissique vit dans un monde de divisions - avec moi ou contre moi, idéal ou méprisable, exact ou inapproprié, d'unité ou de déconnexion. Cependant, en vieillissant, nous expérimentons le monde dans des couleurs plus grises et comprenons, par exemple, qu'une personne peut nous aimer même si elle ne le montre pas toujours d’une manière exacte où qu’il nous place toujours au centre. De nombreux narcissiques recherchent un amour plus grand que la vie, mais au lieu de trouver l'amour de leur vie, ou du moins parallèlement, ils devraient à s’aimer véritablement, de manière authentique et pas seulement en apparence. C’est alors que la pression sur l'environnement pour leur fournir tout ce qu'ils veulent diminuera et leurs frustrations s'estomperont.

D'autre part, choisir le bon environnement peut également soulager la souffrance du narcissique. Un environnement qui n'est pas frustrant au point qu'il va être abattu encore et encore et éprouver des difficultés continues dans sa relation à l'autre. L'écart entre ce qui est souhaité et ce qui est trouvé doit être suffisamment petit et être vécu comme tel pour permettre certaines vulnérabilités d’être réparées. Une personne indifférente, fermée ou insensible peut se présenter à n'importe qui comme un défi, mais dix fois plus pour un narcissique. Avec tout le travail intérieur qu'il a à faire, des milieux bienveillants peuvent faire ressortir ses belles parties et pas seulement celles qui se rebellent contre le souvenir d'un amour violé.



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