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Savoir se séparer correctement

Article de Roi Tzur -Travailleur social clinicien et Psychothérapeute, écrivain et conférencier.

Traduction depuis l’hébreu - Yael E Kerpel et ChatGPT


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Même lorsque nous ressentons que le moment est venu, certains d’entre nous ont du mal à se séparer, à mettre fin. Cela peut concerner un partenaire, un lieu de travail ou de vieux amis. Rien ne dure éternellement, pas même les relations, et la capacité de les terminer de manière saine n’a rien d’évident. Nous avons du mal à lâcher prise, nous nous accrochons pour diverses raisons, nous craignons de nous confronter à nous-mêmes dans la séparation, nous redoutons la nouveauté. Lorsque la séparation nous effraie, en raison des émotions douloureuses et inévitables qu’elle implique, nous risquons de la nier (« nous ne nous quittons pas vraiment »), de l’ignorer (« il ne part pas vraiment »), de l’idéaliser (« il n’y en aura plus comme elle »), de nous empêcher de ressentir quoi que ce soit (« tout va bien pour moi »), de nous taire ou de nous dissocier de différentes manières. Qu’y a-t-il dans les séparations qui nous effraie à ce point, et pourquoi est-il important de prendre le temps de faire le deuil ?


Concernant les séparations, nous adoptons souvent deux styles peu sains : l’un consiste à étirer la fin comme un chewing-gum, l’autre consiste à couper net, d’un seul coup, sans communiquer la séparation à l’autre. Disparaître ou rompre brutalement, parfois en dévalorisant l’autre, en niant les aspects positifs de la relation et en n’accentuant que les mauvais. Il semble plus facile de quitter quelqu’un ou quelque chose lorsque l’on se persuade qu’il n’y avait rien de bon, ou que cela ne nous a apporté que du mal, plutôt que de reconnaître qu’il y avait aussi du bon, auquel nous renonçons en partant. Une autre manière consiste à ne se séparer qu’une fois que l’on a trouvé quelque chose de meilleur auquel s’accrocher. Ainsi, certaines personnes passent directement du mariage à une nouvelle relation avec la personne avec qui elles ont eu une liaison, simplement pour éviter de vivre une séparation. Il leur arrive ensuite de découvrir, avec le temps, qu’elles éprouvent dans la nouvelle relation les mêmes émotions non résolues issues de leur mariage. Rien de nouveau ne peut s’épanouir dans un espace intérieur encore saturé, occupé par quelqu’un d’autre : il faut laisser la place au processus qui débarrasse l’ancien pour accueillir le nouveau. Une relation saine ne peut naître qu’après la séparation, la réparation et la suture des endroits déchirés par celle-ci.


Si l’idée de vous séparer vous effraie, il est possible que vous viviez la séparation comme un abandon, et non comme la fin naturelle d’une période. En tant qu’enfants, nous sommes censés vivre la vie comme un processus continu, dans lequel nous dépendons de nos parents physiquement et émotionnellement. La continuité et la prévisibilité nous donnent un sentiment de sécurité et nous protègent du monde extérieur pendant notre développement. Plus la relation avec nos parents a été marquée par des expériences où nos émotions n’ont pas été reconnues, nos besoins pas satisfaits, ou par une négligence émotionnelle, plus nous avons ressenti cela comme une rupture du processus censé nous protéger. Dès lors, les séparations peuvent être vécues comme des abandons, et nous les éviterons autant que possible.


La « permanence de l’objet » est un concept du développement psychologique décrivant la capacité d’un enfant à comprendre qu’une personne (« l’objet ») continue d’exister même lorsqu’elle n’est plus visible. Lorsqu’un enfant ne développe pas cette permanence, la séparation peut être vécue comme l’effacement total de l’autre dans son monde intérieur : une expérience terrifiante et angoissante. Chez l’adulte, de manière métaphorique, la permanence de l’objet désigne la capacité à ressentir que l’autre continue d’exister en nous même s’il n’est plus présent physiquement. Quand cette permanence est instable, en raison d’incohérences dans les relations précoces, la séparation peut être vécue comme la disparition totale de l’autre de notre paysage psychique, entraînant un sentiment de perte intense, de vide, de solitude, d’angoisse et de nostalgie profonde. Alors, la solitude avec nous-mêmes devient effrayante : au lieu d’être agréable, elle se transforme en vide et en abandon. Dans ces moments de séparation, des sentiments douloureux de honte, de dévalorisation, de confusion et de doute de soi peuvent surgir, conduisant à éviter la séparation, même si la relation est en réalité terminée depuis longtemps.


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Comme pour un traumatisme, dans un processus de séparation, la différence est immense entre une perte non élaborée et une perte comprise et intégrée. Une séparation non élaborée par le deuil continue de tourmenter, tandis qu’une séparation ayant traversé le processus de deuil s’intègre et se dissout dans l’expérience intérieure. Tel est le rôle du deuil : transformer un événement externe douloureux en expérience interne assimilée. Une séparation, contrairement à un abandon, exige du temps, un processus de deuil qui nous confronte précisément à toutes les émotions que nous cherchons à éviter, en premier lieu la tristesse. Il est beaucoup plus facile de ressentir de la colère que de rencontrer cette tristesse profonde qui semble ne jamais vouloir disparaître. Concernant la séparation, la tristesse est un sentiment essentiel, peut-être le plus important : elle rappelle ce qui a été, les éléments positifs, les choses bonnes auxquelles nous nous attacherons par la nostalgie. Elle est le signe que quelque chose de l’autre demeure en nous et nous accompagnera malgré son absence physique. Ce qui peut sembler être un deuil inutile ou une tristesse stérile sert en réalité de rappel précieux que l’autre a laissé en nous une empreinte durable, que la relation nous a enrichis, indépendamment de sa fin.

C’est particulièrement vrai pour ceux qui ont du mal à se séparer d’un parent décédé avec qui la relation fut difficile ou complexe. La colère ou le conflit intérieur peut maintenir un lien déformé avec ce parent, qui selon nous nous a lésés ou n’a jamais répondu à nos attentes. Le deuil, la reconnaissance de la tristesse et de la douleur, le pardon, et l’acceptation de ce qui a peut-être existé malgré tout, permettent d’établir une « permanence » du parent en nous, une sensation que quelque chose de lui demeure, sans avoir à s’y accrocher via la rancœur ou la haine.



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Faire le deuil d’une séparation est cependant un processus difficile, car il réveille souvent une ambivalence douloureuse. Alors que nous nous réjouissons de quitter ce qui faisait mal, nous souffrons aussi de la perte du bon, du potentiel qui ne se réalisera jamais, du chemin interrompu. L’ambivalence suscite des questions : s’il y avait aussi du bon, pourquoi partir ? Comment puis-je me permettre de partir ? Retrouverai-je cela dans une nouvelle relation ? Lorsque l’ambivalence n’est pas résolue et qu’aucune décision n’est prise, il n’y a pas de limite à la séparation : elle s’étire, car nous restons coincés dans une négociation intérieure et extérieure. Mais l’ambivalence ne doit pas nous effrayer : toute véritable séparation est, par essence, ambivalente et subjective. C’est particulièrement difficile pour les perfectionnistes, en quête de réponses absolues. Lorsque nous nous séparons, nous quittons aussi le bon, pas seulement le mauvais ; il faut donc faire place à ce qui a été, et pas seulement à ce qui a manqué. Toutes les relations comportent des aspects réussis et des aspects qui n’ont pas fonctionné : tomber dans la division entre le bon et le mauvais revient à nier la réalité plutôt qu’à se séparer, à fuir la vérité émotionnelle et la capacité de l’esprit à apprendre, se développer, créer de l’espace et avancer.


Pour finir sur une note philosophique : celui qui ne peut se séparer ne peut pas vraiment s’attacher. Paralysé par la peur de perdre l’amour, de la fin, de la trahison ou de la mort, il cherchera à posséder et contrôler, incapable de se laisser aller. Pourtant, tout, même le meilleur, arrive à sa fin. Comprendre cela nous permet justement de nous abandonner à l’autre, de supporter sa proximité en sachant la relation temporaire. Choisir de se souvenir du bon et d’en faire le deuil, de ressentir l’autre absorbé en nous, revient à remercier la vie de nous avoir permis d’aimer pour un temps, dans un monde où l’éternité n’existe pas.

 
 
 

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