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La difficulté de passer de « tomber amoureux » à l'amour

Article de Roi Tzur -Travailleur social clinicien et Psychothérapeute, écrivain et conférencier.

Traduction depuis l’hébreu - Yael Eyholzer Kerpel




Le phénomène dans lequel les hommes et les femmes ont du mal à passer d'une phase de première connaissance de quelques semaines à une relation engagé est de plus en plus courant de nos jours. De nombreuses explications ont déjà été données à ce phénomène, entre autres la peur de passer à côté de quelque chose de mieux, le célibat tardif de notre époque et l'érosion du statut de la monogamie. Cependant, ces explications, qui s'appuient sur la culture contemporaine, ne répondent pas toujours à la difficulté psychologique que beaucoup ont à passer de la phase de tomber amoureux à la phase d'amour. Le syndrome de "Peter-Pan", par exemple, est un syndrome de personnes sautant de relation en relation et d'excitation en excitation, tout en se plaignant de leur manque de chance pour trouver une relation stable malgré leur désir. Pourquoi est-il si difficile pour beaucoup de passer de tomber amoureux à aimer ? Quelle est la relation entre le fantasme et la réalité en amour ? Et pourquoi une relation à long terme doit-elle contenir un peu des deux pour durer ?


Commençons depuis le départ. Au début, il y avait deux personnes qui sont tombé amoureux. Mais même si nous tombons amoureux d'une autre personne, tomber amoureux est surtout le drame d'une personne, à savoir nous. Pourquoi ? Parce que nous ne voyons pas vraiment l'autre, mais projetons sur lui notre image idéale et tombons amoureux de lui. Puisqu'il est impossible de vraiment connaître une autre personne telle qu'elle est en si peu de temps, l'autre nous sert en quelque sorte de test de Rorschach géant, sur lequel nous projetons les fantasmes que nous avons nourris toutes nos années sur qui est un partenaire idéal. Tomber amoureux à cet égard est "l'amour sans connaissance", c’est-à-dire que j'aime quelque chose que je ne connais pas vraiment. Cependant, tomber amoureux sera toujours suivi d'une désillusion, et plus l'écart entre le fantasme et la réalité sera grand, plus la désillusion sera dure.

Le désenchantement à cet égard est "la connaissance sans amour", c'est-à-dire que je n'aime pas ce que j'ai connu. Le désenchantement, c'est-à-dire la rencontre douloureuse avec la réalité, doit passer par un processus mental de deuil, au cours duquel nous sommes contraints de nous séparer de certaines parties du fantasme que nous avons nourri. Pour certaines personnes, cette transition est difficile, voire impossible, et elles continueront à s'accrocher au fantasme, et resteront donc ambivalentes dans la relation, ou choisiront d'abandonner la relation ou de ne pas s'y plonger en premier lieu. Lorsque Sancho Pancho, le fidèle assistant de Don Quichotte, désigne une certaine dame et dit à son maître que c'est la Dulcinée dont il rêvait, Don Quichotte n'est pas prêt à accepter que la dame sans grâce qui se tient devant lui soit sa Dulcinée (c'est-à-dire accepter la réalité). Il préfère considérer qu'elle est une sorcière, et lorsque le sort sera levé un jour, elle redeviendra celle qu'il espérait. Entre le deuil et l'acceptation de la Dulcinée réaliste, et entre l'abandon en règle générale, il trouve une solution intermédiaire intrigante sur laquelle nous reviendrons plus tard lorsque nous parlerons d'une relation à long terme.


Afin de comprendre qui sont les personnes qui ont particulièrement du mal à accepter la réalité et à pleurer ce qui n'est pas là, nous devons d'abord comprendre le lien entre fantasme et réalité dans le contexte des relations. L'un des grands avantages des fantasmes est qu'ils sont pleins d'espoir, et l'espoir, comme nous le savons, nous remplit de force et de motivation pour sortir et réaliser ce sur quoi nous fantasmons. L'espoir nous aide à rejeter la réalité présente en faveur d'une réalité future. Jusqu'à ce que cela se produise, lorsque nous vivons dans le fantasme, la "réalité" alternative nous va comme un gant et nous fait du bien. Cela ressemble un peu à l'incubateur dans lequel est placé un bébé d'un jour, qui est entièrement adapté au bébé, afin de le protéger de la réalité extérieure. Et puisque c'est nous qui créons nos propres fantasmes, nous avons également un contrôle total sur la "réalité" en eux, sans avoir à faire le moindre effort et à essayer de nous adapter à la réalité réelle. Mais pourquoi voudrions-nous nous adapter à la réalité si nous pouvons continuer à essayer d'adapter la réalité à la fantaisie ? Disons que cette colonne sera publiée, et toutes les discussions à ce sujet seront favorables comme je m'y attends. De cette façon, la réalité s'adaptera à moi et je me sentirai bien dans ma peau. Mais supposons un instant qu'un commentateur sera moins flatteur, et écrira, par exemple, des choses contraires à ce que j'ai écrit. Ici la réalité ne sera plus adaptée à moi, et je serai obligé de faire l'un des deux choix : m'y adapter ou au contraire choisir d'ignorer le commentateur comme s'il n'était pas là. Cependant, si je décide de ne pas l'ignorer, ce sera une opportunité de développement et d'apprentissage de quelque chose d'intelligent et de nouveau pour moi. Mais pour ce faire, je dois avoir suffisamment confiance en moi et en mes capacités, et croire que si je laisse entrer en moi des choses différentes de moi, je ne m'effondrerai pas. L'analogie va de soi, lorsque nous nous permettons de faire le deuil et de nous ajuster à la réalité, la possibilité d'apprendre de la « différence » de notre partenaire s'ouvre à nous, même si elle est très différente de ce que nous attendions. Et au contraire, si nous gaspillons nos vies à rester coincés dans la fantaisie, nous ne pourrons pas profiter de ce que la réalité devant nous a à offrir...


Les personnes qui ont peur de reconnaître l'autre et sa différence sont généralement des personnes avec un soi fragile (les narcissiques par exemple), perfectionnistes, qui s'efforcent de faire en sorte que la réalité s'adapte au mieux à elles. Cependant, même si cela leur est possible dans d'autres domaines de la vie, ils trouvent généralement que cette astuce ne fonctionne pas dans le domaine de l'amour, et ils ont du mal à se construire une relation stable. L'amour, à la différence de tomber amoureux, est déjà un drame entre deux personnes, qui connaissent les différences de l'autre, et se permettent de s'y ouvrir. Ce n'est pas pour rien qu'on dit que dans une relation mature on aime l'autre non pas « à cause de », mais plutôt « malgré » les choses qui vous dérangent chez lui. L'amour à cet égard est "la connaissance avec l'amour", j'aime ce que je vois. Mais pourquoi est-il si difficile pour nous de faire le deuil ? Tomber amoureux agit essentiellement comme une promesse (inconsciente bien sûr) que l'autre comblera des lacunes et complétera des parties de moi qui n'étaient pas suffisamment développées ou fournies pour moi dans mon enfance. Si je me sens rejeté et sans valeur, je graviterai vers une personne qui, à mes yeux, représente une grande attractivité. Si j'ai grandi dans un foyer instable, je graviterai autour d'une personne qui, à mes yeux, représente la sécurité et la fiabilité. L'idée principale de tomber amoureux est qu'il s'agit d'une théorie des carences, dites-moi où vous vous sentez le plus en manque, et je saurai de qui vous allez probablement tomber amoureux. En d'autres termes, tomber amoureux stimule grandement le fantasme, le sentiment de plénitude et le désir de réparation à travers le conjoint, de tous ces endroits où nous avons été blessés dans le passé. Et quand cela ne se concrétise pas, pour de nombreuses raisons, nous explosons de frustration, et le responsable de notre frustration est bien sûr notre partenaire, qui se dresse soudain entre nous et la perfection tant attendue qui nous est promise dans le fantasme. Et comme si ce n'est pas assez dur déjà, plus nos carences sont grandes et plus nous arrivons à la relation blessée, plus il nous est difficile de faire le deuil de la distance entre la réalité et le fantasme, car c'est dans nos âmes. C'est-à-dire que, paradoxalement, ceux qui ont toujours besoin que la réalité leur soit pleinement adaptée, sont les mêmes personnes dont la réalité ne leur était pas suffisamment adaptée dans leur enfance, et qui tentent en fait de compenser cela dans leur vie amoureuse d'adulte également. La transition vers la reconnaissance de la réalité extérieure qui ne s'adapte pas à nous, est un coup narcissique difficile à notre expérience de valeur-propre. Nous devons reconnaître qu'il existe une autre personne, différente de nous, qui a ses propres besoins et qui ne peut pas faire ce que nous voulons quand nous le voulons. Cette reconnaissance n'est pas facile pour ceux qui n'ont pas terminé les processus de développement émotionnel nécessaires et s'accompagne souvent avec de grandes carences à l'âge adulte. Par exemple, vous pouvez être le président des États-Unis et ne pas être en mesure d'accepter la réalité telle qu'elle est même si elle n'est pas confortable pour vous.


Alors peut-être que le fantasme est complètement inutile et qu'il faudrait renoncer à tomber amoureux le plus tôt possible et passer au stade « réaliste » ? Vivre dans un monde complètement réaliste est probablement une expérience plutôt ennuyeuse, qu'aucun d'entre nous ne souhaite vraiment. Une réalité qui n'est pas assaisonnée de morceaux de fantaisie est une réalité sèche, concrète, qui n'innove rien. Les couples qui ne parviennent pas à préserver quelque chose du fantasme initial de tomber amoureux, ne durent pas toujours longtemps, et même s'ils le font, ils rapportent une relation qui a perdu la saveur de la vie. L'importance d'idéaliser notre partenaire ou d'avoir une illusion positive à son sujet a également été prouvée par la recherche en ce qui concerne le maintien des relations dans le temps. La capacité de regarder notre partenaire et d'exagérer légèrement son attrait nous aide à maintenir notre attirance pour lui pendant des années. Cette capacité est particulièrement importante compte tenu du fait qu'au fil des années, l'attractivité initiale de notre partenaire diminue considérablement (une question d'habitude), et l'attractivité des concurrents potentiels que nous rencontrons en cours de route augmente (une question de nouveauté). L'illusion doit bien sûr être ancrée dans la réalité, et il ne faut pas s'en servir pour occulter un trait intolérable à nos yeux chez l'autre, car bien sûr cela ne fonctionnera pas. C'est pourquoi nous devons prendre les bonnes qualités qui existent en lui et les mettre en valeur, tandis que nous regardons ses qualités les moins flatteuses et réduisons leur importance. Il s'avère donc que trop peu de fantaisie n'est pas moins nocive que trop de fantaisie. Cervantès, l'auteur de "Don Quichotte", en savait quelque chose, alors il a choisi pour son héros la voie médiane, rester avec son amant et combler le fossé entre la réalité et l'imaginaire, en lui faisant croire à l'illusion qu'elle est une sorcière. Trouvons alors le sortilège qui nous fera regarder notre proche avec des yeux pas tout à fait réalistes.

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