Ambivalence dans les relations
- Espace EinSofi
- 13 août
- 6 min de lecture
Article de Roi Tzur -Travailleur social clinicien et Psychothérapeute, écrivain et conférencier.
Traduction depuis l’hébreu - Yael E Kerpel et AI

Être ambivalent dans une relation, c’est porter un sentiment oppressant et persistant d’incomplétude vis-à-vis de notre choix. L’ambivalence rend la vie de nombreuses personnes malheureuse : elle nous empêche de nous engager pleinement envers quelqu’un, bloquant ainsi l’accès aux sentiments de satisfaction, de joie et de sérénité qui accompagnent un choix qui nous convient. Certains vivent avec ce sentiment pendant des années, tentant de le combattre, de le faire disparaître, ou bien au contraire d’agir selon lui en passant de personne en personne. Parfois, c’est en effet un ressenti important qu’il faut écouter, mais souvent, l’ambivalence sert de mécanisme de défense névrotique (mais efficace) contre un engagement total dans la relation. Elle nous aide à réduire le risque lié à l’intimité avec l’autre, lorsque celle-ci éveille en nous une peur profonde et inexpliquée, et cela sans que nous ressentions que tout cela relève en réalité de notre responsabilité.
Une femme est attirée par des hommes qui ne sont pas disponibles émotionnellement, évitant toute proximité avec elle. Elle ne comprend pas pourquoi, malgré son désir ardent d’une relation intime, elle échoue sans cesse dans ses tentatives. En revanche, les hommes qui veulent vraiment d’elle ne l’intéressent pas ou ne l’attirent pas suffisamment. Lorsque nous désirons l’intimité mais en avons peur en même temps, nous avons tendance à projeter un côté de l’équation ambivalente sur l’autre personne, nous débarrassant ainsi d’un sentiment trop difficile à porter (ici, la peur de l’intimité). L’attirance pour des personnes indisponibles émotionnellement permet de ressentir fortement que l’on veut une relation, tout en faisant reposer la « faute » ou la responsabilité de l’échec uniquement sur l’homme qui ne s’engage pas.
Un homme est en couple depuis plusieurs années, mais il se torture avec la question : « Est-ce que j’aime vraiment ma compagne ? Est-elle vraiment la bonne ? » Certaines personnes peuvent passer des années à entretenir des doutes obsessionnels sur un partenaire qui dort à quelques centimètres d’eux. Ce phénomène est souvent appelé « trouble obsessionnel-compulsif relationnel » (ROCD). Lorsque sa compagne, lassée de vivre sous condition, décide de partir, les pensées disparaissent comme par magie : il devient soudain sûr de ses sentiments, lui déclare son amour et la supplie de rester. Parfois, l’origine de l’ambivalence réside dans la difficulté à choisir et à s’engager dans quelque chose qui n’est pas parfait ou exactement conforme à nos attentes, même si cela répond pourtant à nos besoins profonds. « Aller avec » tout en ressentant chroniquement « sans » est une façon efficace de résoudre le conflit intérieur, malgré la souffrance que cela implique.
Une femme entame une relation qui, durant les premiers mois, se déroule à sa satisfaction, puis soudain, sans signe avant-coureur, elle perd totalement le désir sexuel. Différents « portails » régulent l’entrée de l’autre dans notre monde : le portail du cœur (les émotions), le portail du corps (la sexualité) et le portail de l’attachement (l’engagement). Au début d’une relation, le portail du cœur n’est pas encore complètement ouvert : malgré l’attirance, l’autre n’est pas encore vraiment proche, il est plus facile d’ouvrir le portail du corps et d’avoir des relations sexuelles avec quelqu’un perçu comme un étranger. Avec le temps, le portail du cœur s’ouvre, suivi du portail de l’attachement : la relation devient plus significative, mais peut aussi devenir menaçante. L’une des façons de réguler l’angoisse est de fermer un portail : ici, le désir « disparaît » comme par enchantement ; dans un autre cas, les partenaires choisiront de dormir séparément ; dans un troisième, l’un commencera à attaquer, critiquer ou mépriser l’autre pour réguler l’intimité. La vie de couple est une dialectique infinie de proximité et de distance, d’amour et de haine, d’ouverture et de fermeture à l’autre. Quand tout fonctionne, ces processus ne sont pas dramatiques, mais chez beaucoup, quelque chose bloque ce flux naturel entre les deux pôles.
Descendre de la clôture et s’engager exige de faire confiance à l’autre, de lui remettre notre cœur. Cela revient à lui donner un grand pouvoir sur nous, à devenir dépendant de lui, et il peut nous blesser, nous décevoir, nous rejeter ou raviver nos blessures les plus anciennes et profondes. Lorsque l’amour nous rend ambivalents, c’est souvent le signe que des expériences passées douloureuses — amour retiré, jamais donné, parent maltraitant, rejet social, séparation difficile — nous empêchent de nous livrer pleinement. Ces souvenirs, inscrits dans l’âme et le corps, nous avertissent : « Ne laisse pas l’amour t’atteindre à nouveau », pour éviter l’effondrement, l’angoisse et la terreur d’autrefois. Une enfance traumatique ferme ainsi notre cœur, totalement ou partiellement ; certaines parties de nous ne battent plus, et la confiance totale ne sera plus jamais donnée. L’ambivalence naît lorsque, d’un côté, nous espérons que l’amour pourra réparer ce qui a été brisé, mais que, de l’autre, nous nous assurons de ne jamais mettre cette croyance à l’épreuve.
L’ambivalence décrit donc deux forces opposées en nous, et pas nécessairement chez l’autre. Une partie de nous croit que nous sommes brisés, imparfaits ou « défectueux » d’une manière ou d’une autre, donc indignes d’amour, tandis qu’une autre aspire à l’amour comme tout être humain. D’après mon expérience, beaucoup de personnes qui peinent à créer une relation intime ressentent cela. Ainsi, le « bien » que l’autre veut nous offrir — intimité, amour, attention, sollicitude — devient menaçant, difficile à accepter, dangereux : si nous croquons dans la pomme, peut-être serons-nous empoisonnés. Tandis que notre partie adulte désire un lien proche, l’enfant blessé en nous garde ses distances et reste vigilant, produisant des symptômes comme la baisse du désir, le ROCD, ou la poursuite de partenaires inaccessibles.
L’ambivalence est un symptôme difficile à traiter : il n’existe pas de solution miracle pour s’en débarrasser, et il est impossible de l’éliminer complètement. Elle repose sur la logique d’une âme blessée qui se protège d’une nouvelle blessure. Il faut donc commencer par la traiter avec douceur et indulgence, sans se presser ni s’obliger à agir d’une certaine façon. Il est important de comprendre si elle nous indique que nous ne sommes pas au bon endroit, ou si, au contraire, sa présence dans toutes nos relations signale quelque chose de plus profond qui nous concerne, nous, et non l’autre. Si tel est le cas, il faut comprendre que l’ambivalence est le symptôme d’une douleur plus profonde qui n’a pas reçu suffisamment d’attention et de compréhension. Explorer les zones de nous-mêmes qui ne nous permettent pas de nous engager aide à réduire la peur, même si cela ne la fait pas disparaître totalement, et allège aussi la charge émotionnelle que nous projetons sur l’autre en lui demandant d’être ou de donner ce qu’il ne peut pas.
En réalité, au fond de nous, il existe un lieu qui sait, qui veut, qui croit — et c’est ce lieu qu’il faut nourrir, plutôt que de lutter contre la part ambivalente, car tout ce contre quoi nous luttons ne fait que croître. Ce que je propose, en fait, c’est la reddition : se rendre à la part qui ne sait pas, qui est confuse, qui a peur de se tromper, qui refuse de décider. Autrement dit, nous autoriser à rester dans la relation sans nous gronder : « Prends enfin une décision ! », mais à profiter de ce qui est là maintenant, tout en tolérant les réserves qui surgissent en nous, sans en avoir si peur. La voir non pas comme une part qui exige forcément une action, mais comme l’expression de notre vieille difficulté à nous livrer dans une relation intime. Je pense que l’ambivalence demande parfois de la patience, qu’on la laisse tranquille, voire qu’on la célèbre avec le partenaire. La façon de dépasser nos plus grandes peurs est de passer à travers elles — traverser l’effroi et en ressortir, non pas après s’en être débarrassé, mais après lui avoir fait une place et constaté que le ciel ne s’écroule pas et que la vie continue à ses côtés.
Vous découvrirez peut-être alors que cette expérience est moins terrible que la peur qui nourrit votre ambivalence. En acceptant de vous rendre à votre ambivalence, vous accepterez aussi, peut-être, toutes les parts humaines en vous qui se cachent derrière elle et que vous préférez dissimuler : votre dépendance, votre sensibilité, votre peur, votre instinctivité, votre impuissance, votre méfiance, votre fragilité, voire votre banalité. En laissant ces parts exister, vous découvrirez aussi la grâce, le « bien », et vous réaliserez que tenter de le réduire ou de le cacher pour éviter d’être blessé à nouveau appauvrit la vie humaine. De toute façon, nous n’avons aucun contrôle réel sur les pensées et les actions des autres. Celui qui ne peut tolérer ses peurs construit autour de lui de hauts murs — de colère, de fausse gentillesse, de fermeture — et rend sa vie vide, pauvre, pleine de protections inutiles qui l’isolent du monde. Il vaut mieux, donc, mûrir, dépasser cela, ouvrir lentement les portails, s’engager, et peut-être découvrir, au passage, de nouvelles manières de vivre notre vie. Bonne chance.
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