Article de Roi Tzur -Travailleur social clinicien et Psychothérapeute, écrivain et conférencier.
Traduction depuis l'hébreu - Yael Eyholzer Kerpel
Nous connaissons tous le type qui aime se porter bien avec les autres. Celui à qui l’on peut faire confiance, qui est responsable, dévoué, qui fait ce qui est nécessaire et qui ne refuse presque jamais la demande de l’aide des autres, même si la demande se fait sur son propre compte. Sa tendance naturelle est d’être pour l’autre et de mettre ses besoins en dernier, et il a du mal à dire « non » aux autres ou à exprimer ouvertement ses besoins. Vouloir des choses pour lui-même lui donne souvent un sentiment de culpabilité inexpliqué. Même s’il semble toujours fort et en contrôle, derrière son visage d’adulte se trouve souvent un enfant qui craint de décevoir les autres. Dans cette chronique, nous parlerons des « ceux qui se portent toujours bien », de celui dans le couple qui donne toujours sans demander grand-chose pour eux-mêmes, du moins pas ouvertement.
D’une manière non fortuite, les personnes attentionnées, qui aiment être d’accord avec les autres, se retrouvent dans une relation avec des personnes « needy », celles qui ont un certain degré d’égocentrisme enfantin, manifestent de l’impuissance dans certains domaines ou sont simplement habituées à être du côté des récepteurs. Si nous supposons qu’il n’y a pas d’altruisme pur dans la nature, et que la vie est généralement menée selon les lois du « prendre-donner », la question qui se pose : pourquoi les gens préféreraient-ils satisfaire les besoins des autres, tout en négligeant leurs besoins personnels ? Ou pourquoi les gens auraient-ils du mal à se faire plaisir sans ressentir dans le même souffle qu’ils en blessent un autre ? Afin de répondre à ces questions, nous devons comprendre comment l’émotion de culpabilité joue un rôle central dans la psyché de « ceux qui se portent toujours bien », et plus tard faire une distinction entre la culpabilité et l’auto-flagellation. Un principe organisateur dans la psyché de ces personnes est qu’elles ont des relations par le sens du devoir et réduction du sentiment de culpabilité, plus que d’un lieu d’amour. Pour comprendre ce principe, il faut remonter à l’enfance de « ceux qui se portent toujours bien ». En tant qu’enfant, il y avait un parent avec qui les frontières émotionnelles étaient floues de telle sorte qu’on lui assignait la responsabilité du bien-être mental du parent. La première personne « needy » de leur vie a été le parent qui a livré le double message suivant : Je (le parent) vous accorderai une grande attention et vous serai dévoué, en même temps que j’exigerai secrètement de vous de nombreuses ressources émotionnelles pour m’aider et prendre soin de moi. Vous vous sentirez étouffé par l’intensité de la relation, mais au moins vous vous sentirez important. Si vous voulez vous libérer de mes griffes, je ferai en sorte que vous vous sentiez coupable de m’avoir abandonné, parce que vous avez le devoir moral de prendre soin de moi.
La valeur ajoutée qu’ils ont reçus dans la relation inséparable avec leurs parents était que de prendre soin des personnes « needy » donne un sentiment de valeur et d’importance personnelle. Mais ce sentiment de valeur a un prix élevé sous forme d’un profond ressentiment. Les « ceux qui se portent toujours bien » achètent l’estime de soi en satisfaisant les autres, mais le paient avec du ressentiment, qui s’accumule en eux par le fait qu’ils font pour les autres des choses avec lesquelles ils ne se sentent pas en accord ou qui viennent sur leur propre compte. Le ressentiment qu’ils traînent depuis des années conduit souvent à des crises de colère à cause de ne pas avoir été vus, ou avoir été sous-estimés pour leurs efforts, ou ne pas avoir obtenu un retour approprié pour leur sacrifice. Ainsi, le dilemme impossible dans lequel ils sont parfois piégés pour le reste de leur vie est entre se porter bien face aux autres et se sentir précieux, mais au prix du ressentiment et du renoncement douloureux à soi-même, ou se mettre eux-mêmes et leurs désirs en premier, mais au prix de se sentir coupables, de diminuer l’estime de soi et parfois la peur du rejet ou une réaction de colère de l’environnement à leur égard. Après tout, beaucoup d’entre eux ont ressenti pour leur propre chair comment le même parent s’est « retourné » contre eux quand ils ne lui ont pas fourni ce qu’il attendait d’eux.
Tout cela a conduit au fait qu’à l’âge adulte, tout mouvement spontané qui vient de l’intérieur de leur moi authentique rencontre une barrière émotionnelle. Les décisions et les changements qui sont censés leur être bénéfiques deviennent un fardeau mental, car ils sont submergés de culpabilité par peur de conséquences que leurs actes pourront avoir sur les autres. En fait, cependant, ce qu’ils ressentent n’est pas de la culpabilité, mais de l’autoflagellation, et il y a une grande différence entre les deux. Premièrement, un sentiment naturel de culpabilité provient d’un préjudice réel et tangible à l’égard de l’autre, c’est pourquoi nous devrions prendre nos responsabilités et les corriger. L’autoflagellation, d’autre part, est un sentiment névrotique et injustifié qui vient du simple fait que chaque décision que nous prenons a un effet, parfois désagréable sur les autres. Cela ne signifie pas que la décision en elle-même est mauvaise ou qu’elle nuit intentionnellement à autrui, mais que parfois les intérêts des deux parties ne correspondent tout simplement pas. Si nous voulons que les autres ne se fâchent jamais ou ne soient jamais déçus de nos choix, nous devons faire attention à chaque pas que nous faisons. Il est difficile de faire ce qu’il faut pour nous quand les autres détiennent les clés de notre estime de soi. Une autre différence entre eux est que dans la culpabilité réelle, nous avons un repère correct de responsabilité, dans l’autoflagellation nous avons un sens exagéré et irréaliste de la responsabilité et du contrôle sur les sentiments des autres, bien plus de ce que nous imaginons. Ironiquement, la personne qui se flagelle est en fait une personne pleine d’importance personnelle, ce qui l’amène à croire que tout ce qui affecte négativement les autres est nécessairement sa responsabilité et sous son contrôle. Si nous revenons à l’environnement dans lequel les « ceux qui se portent toujours bien » ont grandi, nous pouvons comprendre pourquoi ils ressentent cette grande responsabilité et un sens disproportionné du devoir.
Sur le plan intime, « ceux qui se portent toujours bien » peuvent avoir également des difficultés. Le sens du devoir qui les entoure dans une relation s’accompagne souvent d’un sentiment d’étouffement, ce qui les amène à éviter la proximité, car la proximité est une charge supplémentaire et un sentiment qu’ils sont utilisés ou contrôlés. L’intimité signifie, entre autres, l’exposition de lieux personnels, de besoins et de désirs qui conduit à une grande vulnérabilité devant notre partenaire. Cependant, une telle vulnérabilité leur rappelle le fait que lorsqu’ils sont nés, ils avaient déjà exprimé leurs besoins, ils ont généralement été déçus par le parent qui était trop préoccupé par lui-même. Par conséquent, ils ont appris à utiliser leurs ressources comme une sorte de ferme autarcique et à réduire leurs besoins au strict minimum, aussi pour ne pas se vider complètement.
Un peu comme pour toute autre difficulté psychologique, le développement personnel de « ceux qui se portent toujours bien » passe aussi par un processus de séparation qui n’a pas été achevé dans l’enfance, au cours duquel ils apprennent à réduire le désir de bien s’en sortir avec tout le monde afin de contrôler comment leur image de soi reste positive aux yeux de l’environnement, évitant ainsi la honte.
Vous devez apprendre à vivre avec le fait qu’il y aura toujours ceux qui vous verront un peu comme « des connards » lorsque vous ferez preuve de courage et prendrez des décisions qui correspondent à votre voix intérieure et moins à la voix de l’environnement. Être « un connard » ne signifie pas, bien évidemment, que vous devriez commencer à agir sans réfléchir envers les autres, mais plutôt accepter que vous sentiez que l’environnement vous regardera comme ça (même si ce n’est pas vraiment le cas), vous jugera sévèrement et vous punira pour être apparemment agressif, même si en fait vous essayez simplement de maintenir des limites saines entre vous et les autres. Plus vous parvenez à contenir la culpabilité et à compter sur vous-même, plus le blâme ou l’autoflagellation diminuera avec le temps. Donc, si vous êtes une personne compliante ou s’il est important pour vous d’être en accord avec tout le monde, lorsque vous dites « oui » aux autres, assurez-vous que dans le même souffle, vous ne dites pas « non » à vous-même.
Enfin pour terminer, si vous êtes marié à une telle personne, prenez un petit conseil de ma part : ne le prenez pas pour acquis et ne le considérez pas comme quelqu’un dont vous pouvez continuer à puiser sans fin. Encouragez-le à se connecter avec lui-même et à dire de temps en temps : « Je n’en ai pas envie » ou « J’en ai marre » juste comme ça. Assurez-vous de le remercier, dites-lui que vous voyez les efforts qu’il fait pour vous et vos enfants, et surprenez-le de temps en temps avec quelque chose de gentil. Parce que si vous ne le faites pas et continuez à le regarder comme un puits sans fond, vous prenez le risque que cette personne soit tellement épuisée qu’elle n’aura d’autre choix que de se lever et de marcher, et il sera peut-être trop tard pour sauver la relation.
Bonne chance
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